Contribution de Janine Altounian : "Place du politique dans l’élaboration du trauma".
Contribution de Janine Altounian : "Place du politique dans l’élaboration du trauma".
S’il y a un thème aujourd’hui qui ne cesse de provoquer des débats, autant en philosophie que dans les autres sciences humaines et sociales, c’est bien la violence. Le but de ce Dictionnaire est de donner tous les outils pour en penser les racines historiques, les manifestations contemporaines, la signification profonde.
Plusieurs questions fondamentales sont au cœur de ce Dictionnaire. Doit-on envisager une spécificité de la violence humaine ? L’idée de nature humaine est-elle pertinente lorsqu’il s’agit de réfléchir à la violence ? Peut-on penser un jour éradiquer la violence, comme l’espérait la philosophie des Lumières, ou doit-on accepter l’idée d’une ambivalence intrinsèque des êtres humains qui, soumis à des pulsions contradictoires, ne sont jamais totalement bons ou totalement mauvais ?
Parler de violence signifie aussi s’interroger sur les frontières qui existent entre soi et les autres et sur l’ambiguïté de sa propre existence ; porter un regard d’ensemble sur des pratiques qui vont de l’apartheid à la torture, de l’automutilation au viol, du colonialisme au terrorisme, mais aussi aborder la sexualité et l’inconscient, le passage à l’acte et l’inceste, le travail et la mort. Ces questions, si diverses, sont ici abordées de façon à constituer une analyse globale et renouvelée de l’objet « violence ».
200 auteurs (philosophes, sociologues, juristes, psychanalystes, historiens, théologiens, anthropologues) ont participé à ce Dictionnaire, unique et original, dont les 300 entrées dessinent une solide cartographie des notions et concepts clés, des penseurs et artistes, des références et travaux portant sur la violence, sujet au cœur de la nature humaine et de la modernité.
Article Traumatisme par Janine Altounian.
Dans un dialogue avec Anne Marie Haas, psychologue à la Chesnaie, ainsi qu'en répondant aux questions de la salle, l'auteur présente les différents thèmes de son dernier livre en lien avec son parcours depuis l''écriture de son premier texte de 1975 et ses élaborations mises en œuvre dans la cure.
Parcours entre la traduction de Freud et des essais sur la transmission traumatique. Élaboration du trauma par la cure et l'écriture.
Conférence de Janine Altounian le 12 et 13 novembre 2008 à Kigali
Survivre à la mémoire insoutenable des violences grâce à son déplacement dans le temps et le lieu de son élaboration
" Malgré votre aimable invitation à ce colloque et bien sûr malgré l’émotion et le plaisir que je ressens à être parmi vous, ma présence ici me semble quelque peu injustifiée pour les raisons que je commencerai par exposer :
Tout d’abord, je demeure hélas sceptique vis-à-vis du propos de notre rencontre car, en héritière de parents survivant au génocide des Arméniens perpétré en 1915 par l’Empire ottoman, j’ai toujours considéré, dans mes élaborations d’analysante, la stratégie du déplacement comme condition nécessaire, aussi bien au travail psychique de deuil qu’au travail politique exigé par le scandale d’un tel héritage. Il m’a semblé jusqu’à maintenant qu’un double déplacement – transgénérationnel et géographique – était indispensable aux héritiers d’un semblable patrimoine meurtrier pour inscrire des violences non subjectivables dans une subjectivité, la leur, et partant celle de leurs contemporains, afin de pouvoir, en leur propre nom, historiciser dans le monde où ils vivent le vécu inouï de leurs ascendants.
Devant s’acquitter d’une dette infinie aux morts, ils ont évidemment à transmettre la mémoire de leurs proches suppliciés, à dénoncer la réalité de ce à quoi ont survécu ceux qui restent en vie. En prêtant ainsi parole à des êtres humains assassinés dans le laisser-faire du monde, ils les remettent et se remettent eux-mêmes en lien avec ce monde-la pour les réinsérer, se réinsérer dans l’histoire d’un monde qui les avait ignorés. C’est par cette remise en lien qu’ils peuvent élaborer ce qui les habite, quelque peu s’en affranchir et inaugurer un nouvel investissement de la vie. "
L'ouvrage
Cet ouvrage à plusieurs voix porte sur la question de la transmission d’un héritage traumatique et de son mode d’élaboration au cours du travail analytique. Il a la particularité de comporter, en fac simile, le manuscrit original du témoignage autour duquel il s’origine et s’organise : le Journal de déportation de Vahram Altounian, traduit par Krikor Beledian, reçu et commenté par Janine Altounian, essayiste, traductrice. Le texte intégral de cet ouvrage, dont le témoignage de Vahram à partir de la page 13 (y compris les pages en arménien du fac simile) est disponible sur le site de Mélik Ohanian, où vous pouvez voir comment le jeune plasticien et artiste (sur la photo à gauche avec Janine Altounian) a créé son objet d’exposition visible sur le site du CRAC de Sète,
au Centre régional d'Art Contemporain du Languedoc-Roussillon en détruisant 120 exemplaires de mon livre collectif Mémoires du génocide arménien, Héritage traumatique et travail analytique. Krikor Beledian, chercheur et traducteur du Journal de Déportation de Vahram Altounian l'a complété par un addendum qui prend tout son sens à la page 41 du journal.
La seconde édition de ce livre bénéficie de l'ajout, en page 6 d'un lien dans le texte ainsi que d’un QR Code permettant de visualiser le fac-similé.
Photo : Vahram Altounian et sa mère Nahidé à Istanbul vers 1919
Cet ouvrage se propose de montrer comment, à partir d’un écrit indéchiffrable pour tout lecteur néophyte, une expérience traumatique débutant à Boursa, petite ville d’Asie mineure, un « mercredi 10 août 1915 », passe par l’épreuve de sa traduction, celle de sa réception et de son élaboration subjective par un héritier pour se transmettre et aboutir, quasi un siècle plus tard, à la présente publication.
Pour plus d'informations :
- Revoir la Table ronde organisée le 23 mai 2010 au Mémorial de la Shoah.
- Réécouter l'émission diffusée sur Radio Ayp le 2 mai 2009, Au fil des pages avec Pérouse, Satenik, Takoui, à propos de Mémoires du génocide arménien.
- Revoir l'interview de Janine Altounian avec Anahide Ter Minassian dans l'émission « Foi et traditions des chrétiens orientaux » sur France Culture du 13 décembre 2009:

Photo : Vahram en berger comme chez les Bédouins, Istanbul 1919.
La mise en scène de cette tenue rappelle sans doute que la survie de Vahram doit beaucoup au berger arabe qui l'avait accueilli penddant la déportation en 1915 ou au début de 1916 dans le désert de Syrie, non loin de l'Euphrate.
Elle correspond au rite de la photo "déguisée" en vogue dans la culture ottomane qui aime jouer avec les identités. On peut lire à ce sujet l'ouvrage de Catherine PINGUET qui porte sur les premiers photographes de Constantinople, notamment les Frères Abdullah, des Arméniens qui sont aussi les premiers photographes officiels de sultans : Istanbul, photographes et sultans, CNRS éditions, 2011, collection Pierre de Gigord.
A signaler, le dernier ouvrage de Catherine PINGUET paru en novembre 2018 dans la collection Beaux Livres :
Une histoire arménienne - La photographie dans l'Empire Ottoman
