Jury de soutenance de thèse : Aléas et devenirs du lien mère-fille à l'épreuve de la vieillesse et de la mort de la mère


Aléas et devenirs du lien mère-fille à l'épreuve de la vieillesse et de la mort de la mère
: Thèse de doctorat en Psychologie, Mention Psychopathologie et Psychologie clinique, de Monique Létang, soutenue à l'Université Lyon 2, sous la direction de Jean-Marc Talpin, Professeur à l'Institut de psychologie de l'Université Lyon 2 au CRPPC - Centre de Recherches en Psychopathologie et Psychologie Clinique de l'École doctorale EPIC - Éducation, Psychologie, Information et Communication Laboratoire. 

 

Membres du jury 

Jean-Marc Talpin, Professeur, directeur de thèse (Université Lyon 2)

Georges Gaillard, Professeur, (président du jury - Université Lyon 2)
Sylvie Le Poulichet, Professeure, pré-rapporteur (Université Paris 7)
Benoît Verdon, Professeur, pré-rapporteur (Université Paris 5)
Janine Altounian, membre invitée

Présentée et soutenue publiquement le 17 février 2017

 

Evaluation de Janine Altounian 

     N’étant ni psychanalyste ni universitaire, n’ayant donc nulle compétence pour évaluer cette thèse selon les critères des soutenances de thèse de doctorat en psychologie, j’ai d’abord exprimé mon étonnement, voire mon embarras à Jean Marc Talpin et à Monique Létang qui m’a alors expliqué qu’elle avait été intéressée, dans mes écrits, par «  la question de la transmission et notamment celle qui passe par les femmes ».  J’ai donc été bien obligée de lire cette thèse dont le titre m’effrayait quelque peu dans la mesure où, en référence aux figures de tous les cas cliniques qui y sont évoqués, j’ai été moi même petite fille, fille, mère de bébés filles puis d’adolescentes en crise, grand-mère, j’ai vu vieillir, puis disparaître ma mère et j’ai atteint à présent un âge respectable !

     Or, au fur et à mesure que je lisais son contenu avec une certaine émotion, je comprenais que, par rapport à ce lien mère-fille que ressuscitaient en moi les effets de cette lecture, il fallait me distancer, me libérer de l’emprise de celle-ci. Je devais y instaurer précisément cette séparation - qui, sujet central de cette thèse, m’apparut pour la première fois être la question essentielle de la condition humaine - afin de pouvoir, indépendamment de toute évaluation, dire tout simplement ce que j’avais apprécié dans ce travail. Je ferai donc, selon mon habitude, une lecture commentaire de cette thèse, en témoignant de mon transfert au texte comme à celui d’un livre qui, par ses résonances, les associations qu’il suscite,  promeut chez son lecteur un certain travail analytique. Je dirai ainsi combien ces pages m’ont d’une part profondément interpellée, touchée et d’autre part vivement réjouie par l’audace des situations scandaleuses qu’elles nous présentent sans souci de la bienséance qui les passe habituellement sous silence.

     Le caractère subjectif et personnel de ma contribution est au demeurant induit par la référence que fait Monique Létang à mon autobiographie en citant, p. 64, un passage de mon livre De la cure à l’écriture:

« Je ressens […] le besoin de […] me pencher vers ces femmes de la déportation et de l'exil, l'aïeule déportée aux déserts de Mésopotamie, [...] ou celle exilée chez qui j'ai souvent passé, enfant, mes vacances de petite écolière parisienne, une vieille femme étrangère à la langue, aux mœurs du pays où elle avait été violemment transférée »

Elle poursuit en précisant :

« Ces grands-mères […] envers lesquelles elle a contracté une dette […] qu'elle tente de combler en leur rendant un hommage posthume à travers l'écriture. Cet exemple met en lumière la question de la dette transgénérationnelle »

     En introduction à ma lecture commentaire de cette thèse, j’aimerais d’abord raconter comment, dans un mouvement transférentiel à ces lignes qui évoquaient ma grand mère maternelle, l’idée m’est subitement venue – cette idée incidente que Freud nomme Einfall – que non seulement j’avais passé chez elle mes vacances de petite écolière parisienne, mais que, respectueuse de la tradition, je lui avais aussi présenté quelque 20 ans plus tard, mon bébé fille première née, accompagnée de ma mère, sa grand mère. Pensant alors à cette scène, j’eus soudain envie de rappeler par mail à ma fille aînée cet événement de sa prime enfance que je lui avais pourtant déjà raconté. Sans doute à la faveur de cette distance séparatrice qu’instaurait la citation de mes lignes par un tiers, je ressentis le besoin de lui écrire ainsi qu’à ses deux sœurs mises en Cc dans le mail que, née en mai 1962, elle avait pu bénéficier de la bénédiction de ma grand mère, son arrière grand-mère aveugle qui, avant de mourir en juillet de la même année, avait pu encore tenir dans ses bras le bébé emmailloté qu’elle était. Je n’ai pas hésité à me constituer ici comme objet d’étude de cette thèse en vous livrant ma réaction qui  illustre parfaitement cette « question de la dette transgénérationnelle »

     La pulsion qui me poussa à un tel geste de transmission représente à mes yeux un des heureux effets de lecture de cette thèse. Autrement dit, celle-ci ne porterait pas seulement sur  des questions anthropologiques fondamentales : la nécessité pour la fille de se séparer de sa mère pour devenir elle-même, la dette que tout enfant contracte envers tel ou tel parent de sa lignée. Elle offre aussi à son lecteur des points d’identification susceptibles de promouvoir l’élaboration de ses nœuds psychiques insuffisamment travaillés.   

     Cet impact sur l’affectivité du lecteur est dû, me semble-t-il, à la façon dont Monique Létang prend celui-ci en quelque sorte par la main pour le conduire sur les chemins empruntés par son travail clinique. La présentation subjective de sa démarche de chercheur et de clinicienne nous permet de l’y accompagner et de penser avec elle le cas qu’elle étudie. Elle écrit p. 239:

«  Dans ce travail de recherche et d'écriture, j'ai introduit à plusieurs reprises des références littéraires et artistiques pour m'aider à penser ma clinique […] C'est aussi grâce à ce même procédé que je peux continuer à me maintenir bien vivante auprès des patients que je reçois ».

J’ai même pu constater que la dette transgénérationnelle que met en lumière l’exemple des grands-mères présentes dans mes écrits est certes au cœur de sa théorisation, mais cette théorisation et sa clinique sont elles-mêmes redevables à son arrière grand-mère à laquelle elle s’identifie p. 141 dans le mode d’accueil de ses patients : 

«  J'ai moi-même le souvenir de mon arrière grand-mère qui vivait avec mes grands-parents [… ] Elle était disponible et accueillait avec bienveillance ma curiosité et mes demandes. Elle prenait le temps de répondre à mes questions [… ] Je m'aperçois, en écrivant ces quelques phrases que j'ai dû puiser dans cette présence tranquille pour, à mon tour, pouvoir me tenir auprès des personnes en grande souffrance ».

      En somme, de même que cette thèse parle de la lectrice que j’étais en tant que petite fille, fille, mère et grand mère, de même l’objet de recherche de Monique Létang devient, au cours de son travail, je dirais à l’épreuve des âges de son travail, sa préoccupation de fille. Elle écrit p. 241 :

« Au fil du temps, j'ai accepté de me laisser rencontrer et traverser par mon objet de recherche […] Il m'a d'ailleurs rattrapé car mes parents sont maintenant des personnes âgées et dépendantes et je touche au plus près la question du renversement et de la préoccupation maternelle tertiaire auprès d'eux »

***

     Après cette introduction, j’aimerais d’abord montrer rapidement comment tout ce que cette thèse énonce sur la problématique de la séparation dans le lien mère-fille relève d’une clinique particulièrement actuelle au sein des familles de survivants aux crimes de masse ou d’exilés expulsés violemment de leur pays natal qui vivent nécessairement soudées en relations fusionnelles caractéristiques des orphelins qu’ils sont devenus par cette expulsion. On lit en effet p. 85, à propos de

« l'équation séparation=mort […] à l'origine des angoisses de la prime enfance »:

» le lieu et la mère peuvent être confondus ou dit autrement, le lieu est la mère ou la mère est le lieu ».

ou à la p. 160 :

« Je vais […] aborder un autre risque de déliaison[…], la mère représentant, dans la psyché de la fille, un lieu ».

     Cette équivalence des deux signifiants référés à l’enracinement de la vie - en le lieu et en la mère - chez les patients de Monique Létang éclaire de façon encore plus tragique la condition de tous ceux qu’on appelle de nos jours les « migrants » : Ceux-ci ne « migrent » pas seulement pour trouver quelque part dans le monde un lieu qui les protègerait de la mise à mort ou de la faim. Leur « migration »  périlleuse, tout comme les efforts d’adaptation des exilés à leur nouveau pays, est également l’expression d’un mécanisme de défense contre la perte d’un enracinement dans un lieu contenant, une  mère.

      Cette condition d’orphelin de mère ou de lieu chez ces hommes et femmes amputés, par ailleurs, de toute possibilité d’autonomisation en raison  des relations fusionnelles qu’ils entretiennent pour survivre au trauma, exprime en réalité l’absence de tiercéité dans l’espace psychique et politique de leur vie. Lorsque Monique Létang rappelle p. 51 :

« Avec Lacan, ce n'est pas tant le père qui introduit de la tiercéïté mais le langage dont le père est le représentant. Il va permettre ainsi à la fille de ne pas rester captive de l'autre maternel «, 

elle touche à l’empêchement essentiel à l’autonomisation des individus au sein de ces familles. Chez un homme survivant ou « migrant » échappé à un pays meurtrier, l’empêchement à assumer une fonction paternelle ou la parole qu’il est censé représenter et énoncer pour séparer la fille de « l’autre maternel » sont une seule et même chose. L’effondrement des référents de sa culture et son arrachement au lieu vécu comme une mère induit, chez lui tout autant une absence de parole qu’une paternité impossible à décliner face à l’institution du pays d’un accueil compromis, voire hostile et c’est la souffrance  de cette  paternité empêchée ou le vide de cette absence de parole qui se transmet aux patientes de Monique Létang.

Par ailleurs, elle écrit p. 75 :

« Il arrive aussi dans l'histoire que des générations d'hommes soient décimés au cours de guerres ou de génocides. Dans ce cas-là, les filles peuvent se retrouver en prise directe avec leur mère, ce qui n'est pas sans conséquences comme le souligne Janine Altounian : « Entre mère et fille il n'y a plus de tiers qui permette et garantisse le lien : père et mari, frère et fils, culture et environnement social sont anéantis et, avec eux, toute triangulation où pourrait se nommer la perte grâce à une médiation, toute distance où pourrait s'avouer mutuellement la douleur. Il n'y a entre elles qu'une alliance tacite dans un enfermement invivable. » «

Cette situation qui m’a fait rencontrer autrefois tant de « vieilles filles » – comme on les appelait – dans les familles de rescapés arméniens est due à la question que nous lisons  p. 91 :

« À l'adolescence, comment se séparer d'une mère que l'on vit comme une personne en souffrance ? Souffrance qui s'avère souvent un moyen de pression pour décourager la fille, en la culpabilisant, de toute entreprise d'autonomisation […] Comment devenir femme quand ce devenir-là est associé à la souffrance ? « 

     Je dirais, pour conclure ce premier point que, si j’ai tant été intéressée par la question de la séparation dont traite cette thèse de psychopathologie, c’est parce que cette question a une portée éminemment politique : De même qu’il faut se séparer de la mère  pour pouvoir la rencontrer, de même l’élaboration du trauma ne peut se faire chez des êtres violemment délocalisés que s’ils renoncent aux injonctions communautaristes aliénantes pour adopter la culture et la langue de l’autre, afin de pouvoir exprimer à cette culture et dans sa langue l’expulsion traumatique hors du lieu, de la mère qu’ils ont vécue.

***

     Dans cette dernière partie, je dirai à présent toute mon estime pour l’audace avec laquelle Monique Létang soumet à l’attention de son lecteur, soit la question de l’homosexualité infantile mère-fille, soit des scènes du vieillissement et de la mort de la mère qu’on évoque rarement. Elle ne se réfère pas seulement à des auteurs comme François Perrier, p. 157 :

« Il n'est de femme pour qui l'amour, l'espoir de l'amour, le droit à l'amour, l'assomption de l'amour ne renvoie à la mère, et à la relation « incestueuse » mère-fille-mère »,

elle assume pleinement le choix périlleux de son objet d’étude en écrivant  p. 208 :

« On constate combien parler du risque incestueux et homosexuel dans la relation mère-fille reste encore tabou »

      En lisant les développements concernant ce sujet, il m’est venu  là aussi une association, issue cette fois –ci, non pas de ma vie de petite fille et de mère, mais de la traductrice passionnée de Freud que j’ai été pendant quarante ans sous la direction de Jean Laplanche.  Il m’a semblé que ce qui animait les traces permanentes chez la femme de cette homosexualité infantile des temps archaïques correspondait à ce qui s’appellerait en langage freudien la Muttersehnsucht, soit la désirance pour la mère, selon la terminologie adoptée par Laplanche dans la traduction des Œuvres complètes de Freud. Celui-ci explique notamment, dans sa terminologie raisonnée :

« Le terme Sehnsucht n'a pas son correspondant exact en français, […] il est […] notoire que Sehn­sucht n'implique nullement la visée du passé, comme le voudrait le terme « nostalgie » […] mais celle de l'absence de l'objet »[i].

     Ce terme, comme celui de Vatersehnsucht, désirance pour le père,  sont des compositions nominales créées par Freud dont je dirais qu’elles désignent une aspiration qui ne peut atteindre son objet immémorial mais qui fait vivre le sujet. Proust, cité p. 85 comme tous ces écrivains dont nous lisons avec tant de plaisir les extraits dans cette thèse, illustre me semble-t-il, la nature oxymorique de cette » désirance «, cette motion de « l’âme » freudienne où s’éprouve la présentification d’une absence :     

« L'absence n'est-elle pas pour qui aime la plus certaine, la plus efficace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ? »

      Après avoir identifié cette Muttersehnsucht dans les cas cliniques de cette thèse, j’ai d’ailleurs été frappée par l’heureuse coïncidence entre mon recours à ce concept qui, dans le lexique freudien, traduirait cette affectation face à l'absence de l'objet  et la référence à la théorie de la « séduction originaire » de Jean Laplanche que fait justement, p. 54,  Monique Létang:

«  Grâce aux travaux de Laplanche nous pouvons dire que [la fille] se retrouve aussi confrontée aux signifiants sexuels inconscients qui émanent de la mère »

     Enfin, ce n’est pas seulement parce que cette thèse étudie « l’épreuve pour la fille de la vieillesse et de la mort de la mère » que je trouve sa démarche audacieuse, c’est parce que celle-ci s’inscrit dans un souci de vérité qui défie l’angoisse qu’elle peut générer :

« La tentation est grande, lit-on p. 190, de venir colmater, par un trop plein d'actes ou de paroles, l'angoisse née face au gouffre que peut représenter la vieillesse « . 

Elle met en effet tout naturellement  au rang des diverses formes de travail psychique celui « du trépas », tel que le nomme Michel de M'Uzan. Elle demande avec quelque indignation p. 235 :

« dans combien de situations un travail clinique au chevet du mourant en présence d'un proche est-il réalisé ? »

     J’aurais envie de dire qu’un des tabous de notre temps est bien de parler ouvertement des moments angoissants de notre finitude où s’éteint la vie et, au point le plus douloureux, celle de la mère, ce qui fait écrire p. 143 à  Monique Létang:

«  j'ai été souvent surprise que la mort de la mère ne soit pas quelque chose de pensable, d'envisageable voire même qu'elle fasse l'objet d'un véritable déni » .

Elle cite d’ailleurs de nombreux auteurs qui ne se voilent pas la réalité du corps défait de la mère. Nous lisons p. 152  :    

« Simone de Beauvoir a décrit le choc qu'elle a ressenti quand elle a vu le sexe de sa mère âgée sur le point de mourir. Elle se souvient alors du corps de sa mère aux différentes étapes de sa vie et des réactions provoquées chez elle, sa fille »

J’ai aimé, par exemple, retrouver p. 153 la crudité de l’écriture scandaleuse d’Annie Ernaux dans cette citation :

« L'interne a relevé sa chemise jusqu'au ventre. Ses cuisses, son sexe blanc, quelques vergetures. D'un seul coup, ce fut comme si c'était moi, exhibée ainsi ».

     Je dirais donc pour conclure que, ne pouvant pas évaluer cette thèse selon les critères requis, je me suis bornée à rapporter les échos affectifs ou intellectuels qu’elle a éveillés en moi, à évoquer les questions qui me concernent en tant qu’héritière d’un trauma collectif, à énumérer les raisons personnelles pour lesquelles sa lecture en tant que celle d’un futur livre m’a intéressée, m’a amenée à penser un pan de la réalité psychique dont je n’avais pas perçu toutes les dimensions  auparavant.    

RELEVÉ DE CITATIONS

   Il est à peine affectif. Il est psychique, inconscient. Dégager ce qui est resté pris, inciser sans perforer, léser le moins possible ; trancher au vif des nœuds en évitant l'irréparable. Voilà le travail. Le geste est obstétrical. Et mieux vaut le savoir, dans de telles opérations, il y a toujours de l'arraché, du bris, de la perte. L'intégrité n'est jamais sauve. »

Ce travail de séparation ayant pour but de faire de la mère un objet distinct de lui, qu'il peut quitter et retrouver, et qui peut le quitter et le retrouver

Piéra Aulagnier qui a accordé une place primordiale à la question de la rencontre et souligné que « Vivre, c'est expérimenter de manière continue ce qui résulte d'une situation de rencontre. ».

La fille a sans cesse à se démarquer de l'image provenant du miroir tendu par la mère et l'environnement dans lequel elle risque de « s'abîmer »

La mère représente une double matrice, celle qui a porté la fille mais aussi celle qui porte les valeurs des femmes de la famille et du groupe social auxquels elle appartient.

Nous savons combien ces excitations, quand elles viennent à le déborder, engendrent des vécus traumatiques.

Dolto : Il est déjà très réceptif aux paroles et aux manifestations qui s'expriment ou ne s'expriment pas autour de sa naissance et ressent la déception parentale quand son apparence ou son sexe déçoivent ses parents.

Freud a écrit que seule la naissance d'un fils « apporte à la mère une satisfaction sans restriction » 117 ce qui induit que la naissance d'une fille conduit à la déception. Puis ce sera autour de la fille d'être déçue de ne pas avoir de pénis et de se dévaloriser.

car nommer c'est déjà séparer et faire exister en tant que personne autre.

Si elle donne dans les premiers mois à l'enfant l'illusion qu'il créé le sein, c'est à elle qu'incombe ensuite le travail de désillusionner l'enfant.

Avec Lacan, ce n'est pas tant le père qui introduit de la tiercéïté mais le langage dont le père est le représentant. Il va permettre ainsi à la fille de ne pas rester captive de l'autre maternel.

Faudrait-il voir un désir, chez la fille, de continuer à se nourrir de la mère, même quand elle est devenue femme, une difficulté à se sevrer d'elle ? Et en même temps, le risque que cela représenterait de rester, une femme-enfant ?

Balzac en a donné également une illustration à travers les propos de Renée de l'Estorade écrivant à son amie Louise de Chaulie : « Oh ! Louise, il n'y a pas de caresses d'amant qui puissent valoir celles de ces petites mains roses qui se promènent si doucement, et cherchent à s'accrocher à la vie. Quels regards un enfant jette alternativement de notre sein à nos yeux ! Quels rêves on fait en le voyant suspendu par les lèvres à son trésor ! »134« On joue alors à l'ogresse, et mère ogresse mange alors de caresses cette jeune chair si blanche et si douce ; elle baise à outrance ces yeux si coquets dans leur malice, ces épaules de rose et l'on excite de petites jalousies qui sont charmantes. » 135

Freud S., 1910 c, Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci :  « L'amour de la mère pour son nourrisson qu'elle allaite et soigne est quelque chose qui a une bien plus grande profondeur que son affection ultérieure pour l'enfant adolescent. Cet amour possède la nature d'une relation amoureuse pleinement satisfaisante, qui comble non seulement tous les désirs physiques mais aussi tous les besoins corporels, et s'il représente l'une des formes du bonheur accessible à l'être humain, cela ne provient pas pour la moindre part de la possibilité de satisfaire sans reproche également des motions de désir depuis longtemps refoulées et qu'il convient de désigner comme perverses ».136 Un peu plus tard, il mettra en évidence l'importance de la mère en tant que premier objet d'amour, cette mère qui éveille chez l'enfant de nombreuses sensations agréables ou désagréables et qui représente pour ce dernier sa première séductrice. De cette façon, elle « acquiert une importance unique, incomparable, inaltérable et permanente et devient pour les deux sexes l'objet du premier et du plus puissant des amours, prototype de toutes les relations amoureuses ultérieures. ».137

Pour Laplanche 138, la théorie de la séduction chez Freud se limite à décrire l'éveil des sensations au niveau génital chez le bébé alors que l'ensemble de l'érogénéité corporelle est concernée. De plus, il ne fait pas mention de l'inconscient de la mère et de sa capacité à émettre des signaux provenant de son inconscient. Freud nous a habitué à une image très idéalisée de la mère qui n'a pas été sans conséquences sur les générations d'analystes suivantes. En effet, il est toujours difficile de remettre en cause l'héritage freudien. Laplanche va élargir la notion de séduction et va développer une théorie de la « séduction originaire ». Dans la suite des travaux de Ferenczi et de son texte« Confusions de langues entre les adultes et l'enfant » qu'il étudie au plus près, Laplanche décrit l'importance des « signifiants énigmatiques » à l’œuvre dans la séduction originaire. Dans cette situation, « l'adulte propose à l'enfant des signifiants non verbaux, voire comportementaux, imprégnés de significations sexuelles inconscientes. Ce que je nomme signifiants énigmatiques. ».139

136

La relation mère-bébé serait ainsi dans un « double registre »141, une relation inter-subjective placée sous le signe de la réciprocité et d'une certaine égalité, et une relation placée sous le signe de la sexualité avec une tonalité pédophile, et donc de fait inégale et traumatique.

Dans certains cas, la séduction narcissique ne décroît pas, mère et enfant restent liés, voire ligaturés par une séduction qui n'en finit pas. Racamier l'énonce avec les propos suivants :« Ensemble nous formons un être à tous égards unique, inimitable, insurmontable et parfait. Ensemble nous sommes le monde, et rien ni personne d'autre ne saurait nous plaire. Ensemble nous ignorons le deuil, l'envie, la castration et... l’œdipe. ».148

La figure de la grand-mère maternelle, grand-mère, mère, fille, une trinité singulière

Cependant, nous constatons que ce tableau, où les différences générationnelles sont abolies, rend compte d'un risque de confusion identitaire entre la grand-mère maternelle et la mère.

François Perrier,  a déclaré que l'homosexualité est présente tout au long de la vie de la fille : « On ne retrouve jamais une modification structurale, un retournement de jupe qui ferait que les filles n'aimeraient les garçons qu'en renonçant à leur homosexualité de naissance. »156

François Perrier « Il n'est de femme pour qui l'amour, l'espoir de l'amour, le droit à l'amour, l'assomption de l'amour ne renvoie à la mère, et à la relation « incestueuse » mère-fille-mère. »157

François Perrier a forgé celui d'« amatride », les  amatrides seraient ainsi des femmes exilées de leur terre-mère et qui ne pourraient assumer de venir de cette terre-là, de ce trou que toute femme porte en elle,

Ce terme inspiré de la position de l'analyste qui se tient en arrière du divan vient témoigner de l'espace, du vide qui le sépare de ce dernier et qui est nécessaire pour que la pensée puisse se déployer.

se plaindre de leurs mères qui sont toujours « derrière elles » mais, lorsqu'elles emploient ce terme, c'est pour signaler une proximité insupportable et l'absence de distance.

Si les objets-reliques ont souvent pour fonction une tentative d'élaboration de la perte après le décès de la grand-mère,  il existe toutefois un risque, la transformation des reliques en objets fétiches, ces derniers venant témoigner de l'impossibilité de symboliser la perte et de la présence d'un deuil pathologique

Je rajouterai qu'au moment où la fille est en capacité de donner la vie, la mère doit avoir été en mesure d'élaborer la perte de sa propre mère.

C'est aussi à partir d'un carnet retrouvé, le journal de déportation de son père que Janine Altounian a travaillé à l'élaboration d'un héritage traumatique en lien avec le génocide arménien en publiant de nombreux ouvrages. Ce qui a retenu mon attention, c'est l'évocation dans son dernier livre de l'ombre des grands-mères et le besoin de remonter aux femmes de sa lignée. Elle nous confie : « Je ressens en effet le besoin de remonter du père survivant aux grands-mères déplacées, de me pencher vers ces femmes de la déportation et de l'exil, l'aïeule déportée aux déserts de la Mésopotamie, figure inconnue de moi, (...) ou celle exilée chez qui j'ai souvent passé, enfant, mes vacances de petite écolière parisienne, une vieille femme étrangère à la langue, aux mœurs, au pays où elle avait été violemment transférée. (...) ».167 Si l'ombre des grands-mères de son enfance n'a pas cessé de l'accompagner dans son travail d'écriture, elle leur rend aujourd'hui un hommage touchant. Ces grands-mères dont elle dit qu'elles ont laissé des traces et envers lesquelles elle a contracté une dette, dette qu'elle tente de combler en leur rendant un hommage posthume à travers l'écriture. Cet exemple met en lumière la question de la dette transgénérationnelle et vient confirmer mon hypothèse selon laquelle la dette de vie de la fille envers sa mère n'est pas remboursée dans son intégralité par la naissance d'un enfant. Les choses semblent beaucoup plus compliquées que cela, et les ancêtres dont on tient plus compte dans d'autres sociétés que dans nos sociétés occidentales n'en demeurent pas moins présents et réclament parfois leur dû.

La grand-mère maternelle étant mise ici à la place de celle qui posséderait cet utérus réparateur.

Réduire les femmes à un rôle de victime revient toutefois à admettre la supériorité masculine.

Les soignants, les travailleurs sociaux voire l'entourage ne sont pas toujours à l'écoute de ce que certaines mères montrent à travers leurs attitudes sur-protectrices, c'est-à-dire la présence en elles de la violence et des sentiments de haine contre investis.

certaines mères sur protectrices ne sont pas entendues et reconnues dans leur capacité à être toxiques pour leurs enfants et sont laissées bien seules face aux angoisses que cela génèrent en elles.

La violence pourrait donc s'inviter dans les relations mères-filles et particulièrement au moment de l'adolescence,

Hélène Deutsch : « Des conflits affectifs se jouent entre un désir interne d'« aller de l'avant » et un besoin également intense de « revenir en arrière » ; et ce mouvement de recul, maintenant enrichi de  force sexuelle, vient en réalité de la réédition d'une situation ancienne qui existait dès avant la période de latence »

la difficulté à liquider l'attachement primaire à la mère. François Richard188, qui s'est beaucoup intéressé à la problématique adolescente, origine les troubles du comportement chez les adolescents au réveil de l'angoisse primitive de la fusion archaïque avec l'objet maternel.

Catherine Terninck pour les jeunes filles une « épreuve de féminisation, épreuve critique, résolutive, éminemment initiatique au cours de laquelle une jeune fille cherchera, après l'avoir dénoncée, à renouveler l'alliance qui originellement l'a unie à sa mère afin de conquérir sa position de sujet féminin. »

À l'adolescence, la mère doit se laisser désinvestir comme au moment du changement d'objet, la fille de son côté doit être en mesure de s'éloigner de la mère tout en se dégageant d'elle. Ce double mouvement est souvent problématique pour les deux parties. Nous verrons plus loin comment ce dernier peut se réactualiser entre mère et fille au moment de la vieillesse de la mère.

la question de la séparation à l'adolescence qui tout comme dans les tout débuts de la vie reste un phénomène central.

à l'adolescence, la séparation garde un caractère à la fois traumatique, nécessaire et structurant.

Parfois, cette séparation qui ne peut s'élaborer se traduit par des symptômes, des passages à l'acte violents ou des atteintes corporelles.

Micheline Enriquez vient ainsi nous rappeler la puissance de l'attachement à la mère, le risque persécutif du lien premier et les difficultés pour la fille à se dégager de ce dernier au

moment de l'adolescence

L'emprise de la mère, à l'adolescence peut aller jusqu'à l'effraction, la fille accordant une capacité magique à lire dans ses pensées, cela aurait pour conséquences de freiner la fille dans l'élaboration de ses propres opinions

Il arrive aussi dans l'histoire que des générations d'hommes soient décimés au cours de guerres ou de génocides. Dans ce cas-là, les filles peuvent se retrouver en prise directe avec leur mère ce qui n'est pas sans conséquences comme le souligne Janine Altounian :« Entre mère et fille il n'y a plus de tiers qui permette et garantisse le lien : père et mari, frère et fils, culture et environnement social sont anéantis et, avec eux, toute triangulation où pourrait se nommer la perte grâce à une médiation, toute distance où pourrait s'avouer mutuellement la douleur. Il n'y a entre elles qu'une alliance tacite dans un enfermement invivable. ».195 Elle cite l'exemple de la relation entre Ruth Klüger et sa mère, relation qui illustre les propos précédents et qui pose aussi la question de l'emprise maternelle.

Cette mère a toutes les caractéristiques de la mère anale qui contrôle tout et exerce un pouvoir inquisiteur réel ou fantasmé à l'égard du corps de la fille.

Ce qui se déroule à l'adolescence s'apparente à un processus de deuil où il s'agit de désinvestir les objets parentaux et en même temps de faire le deuil de l'enfance

La séparation d'avec les objets parentaux garderait quelque chose d'inquiétant dans la mesure où elle renverrait l'adolescent à une période où régnait la confusion entre séparation et deuil.

le fantasme matricide peut venir compromettre la séparation d'avec la mère, se séparer devient tuer la mère dans la réalité.

Faire le deuil de l'homosexualité infantile, pour une adolescente est un travail difficile et paradoxal.

toute période de crise et de fragilité sur le plan identitaire et narcissique favorise chez la fille le retour au temps de la mère pré-oedipienne et … ce mouvement régressif dans lequel elle vient puiser des forces sera également présent quand elle abordera la vieillesse de sa mère ainsi que sa disparition prochaine.

Hélène Deutsch, quant à elle, avait déjà souligné que les adolescentes recherchaient à travers l'objet d'amour homosexuel une relation mère-enfant.

D'où l'importance à cette période du père dont l'influence favorable ou défavorable « se fait toujours sentir, au cours de la puberté, sur le lien maternel originel. »

Au moment de l'adolescence, la fille est confrontée à nouveau à des pulsions destructrices qui vont la mener à attaquer la mère et le lien qui les unit avec toutes les angoisses que cela risque d'entraîner, peur de la détruire, de la rupture du lien, du rejet.

Mélanie Klein 211 (à travers l'exemple de Rita) a montré comment une enfant peut abandonner toute rivalité avec la mère au moment de la période oedipienne à cause de la « peur inconsciente de perdre l'objet interne et externe » et de provoquer par ses attaques haineuses la mort de ce dernier.

On peut faire l'hypothèse à l'adolescence d'une réactualisation de cette situation oedipienne qui dans certains cas empêchera la rivalité entre mère et fille et l'émergence des sentiments de haine. Les angoisses seront d'autant plus fortes si la fille a perçu très tôt la fragilité de la mère face à ses attaques destructrices. Si l'enfant n'a pas eu la certitude que l'objet primaire survivrait à ses dernières, cela peut venir compromettre à l'adolescence le processus de haine nécessaire à la séparation. Des modes de défense contre la haine sont alors mis en place pour faire taire cette dernière.

elle croquera la pomme empoisonnée tendue par la sorcière et tombera dans un profond sommeil. Elle se retrouve ainsi évincée du monde pulsionnel pour une longue période. Le temps de l'éveil génital sera ainsi différé pour elle, c'est le prince charmant qui la ramènera à la vie par un baiser.

N'aurait-elle pas compris que la séduction et le désir ne sont pas qu'une affaire de jeunesse et de beauté ?

comment trouver son identité, face à une mère qui veut être semblable à vous, qui veut tout partager, l'habillement certes, mais aussi les secrets et qui refuse de laisser la fille prendre son envol ? Comment se séparer de cette mère, de cette figure de double ?

Cette fantasmatique meurtrière se révélerait à travers des comportements s'articulant autour de trois axes : le fantasme d'arrachement, le fantasme d'appropriation destructrice et le fantasme d'affrontement217

Affronter la mère anale et phallique, se mesurer à la mère génitale et triompher d'elle serait une entreprise non dénuée de danger. Il y aurait donc péril pour l'adolescente. Face à ce dernier, elle risque d'emprunter la voie du renoncement qui se traduira par des troubles névrotiques dont les dénominateurs communs seront l'inhibition, l'angoisse de réussir, les conduites d'échec.

À travers les fantasmes de meurtre de la mère se révélerait une difficulté voire une impossibilité à se dégager de l'objet interne faute d'avoir pu en faire le deuil. Mais quels seraient donc les obstacles à ce désengagement ?

Winnicott envisage donc la destructivité sous un angle positif à condition bien sûr qu'elle s'accompagne de la survivance de l'objet

Proust : L'absence n'est-elle pas pour qui aime la plus certaine, la plus efficace, la plus indestructible, la plus fidèle des présences ? »

le lieu et la mère peuvent être confondus ou dit autrement, le lieu est la mère ou la mère est le lieu. J'ai pu observer que cela se traduit chez la fille, après le décès de la mère, dans une difficulté voire une impossibilité à se séparer d'une maison où la mère a vécu.

Si la mère imprègne le lieu, elle imprègne aussi la fille, elle occupe les lieux de la psyché de la fille et cette occupation peut prendre une forme persécutive.

Il existe une réelle problématique de la séparation mère-fille, au point où la séparation ultime n'est pas élaborable

la relation « incestueuse » mère-fille-mère. L'impossibilité, ou l'insupportabilité d'être aimée, pour certaines femmes, ou de répondre à l'amour qui leur est porté, est lié à cette question. »

Jacqueline Schaeffer 236 nous rappelle l'importance de cette dernière :« Seule la relation sexuelle de jouissance, qui réalise la promesse du père oedipien dans l'ordre érotique, et non seulement par la substitution d'un bébé au manque phallique, nous semble pouvoir arracher la femme à sa pathologie narcissique et à sa fixation passionnelle à la mère archaïque. ».

Si elle n'a pas été convaincue enfant que l'objet primaire avait la capacité à résister à ses fantasmes destructeurs, il est fort possible qu'à l'adolescence persiste cette crainte de l'endommager voire de le détruire entièrement.

Quand le père reste pour la mère un homme idéalisé après son départ et pris comme modèle d'identification pour la fille, cela barre l'accès à la rivalité entre la mère et la fille car cette dernière, si elle s'identifie au père, ne peut reconnaître son désir pour lui. Cette identification a un caractère aliénant du fait que la fille refoule le désir du père et par là même sa féminité sexuelle.

L'adolescente n'est pas la seule à idéaliser à la fois la mère et le sein nourricier. Dans nos sociétés, cette idéalisation constitue une formation réactionnelle qui permet de refouler le sexuel féminin et la permanence du sexuel infantile présent en chacun de nous23

terrorisme de la souffrance, terme qui avait été employé par Ferenczi. Avant Françoise Couchard, Simone de Beauvoir avait dénoncé cette figure maternelle

À l'adolescence, comment se séparer d'une mère que l'on vit comme une personne en souffrance ?

Ce « nécessaire désinvestissement maternel »242 est en effet une des conditions pour que la fille accède au féminin

on remarque également une volonté de prendre soin, de réparer une mère vécue comme une personne en souffrance depuis que le père est parti ce qui met la fille à une place qui n'est pas la sienne, place beaucoup trop difficile à assumer pour elle,

la « mère virginale » qu'elle décrit ainsi: « Ordre, asepsie, maîtrise par l'intellect ou l'oblativité, sont les valeurs au centre desquelles elle se tient en « maître-es-mère »,grâce auxquelles elle fortifie son bastion et travaille à sa gloire. « Suffisante », au sens propre du terme, elle semble méconnaître le manque tout autant que le désir, assurant aux yeux de sa fille le masculin et le féminin, l'imaginaire et la loi. ».244

L'adolescence, nous l'avons vu, vient révéler la qualité de l'internalisation de l'objet, la capacité à se dégager de son emprise et à s'en distancier.

le processus de séparation/individuation s'accompagne de souffrance dépressive et si les adolescentes expriment leurs craintes de la rencontre avec l'objet génital, le renoncement à l'objet infantile entraîne des peurs plus importantes encore.

Au moment de l'adolescence on assiste à une rencontre entre la féminité, en principe aboutie de la mère, et celle en construction de la fille

Cette mère a bien vécu un traumatisme réel ou imaginaire, au moment de la puberté, à travers une agression sexuelle commise par un homme de l'âge de son père. Ce traumatisme n'ayant été élaboré, on assiste à une commémoration sans fin de cet événement que la mère rejoue en mettant sa fille à sa place

Cependant, dénoncer ce fonctionnement en identification projective représente un danger et je l'ai très vite perçu avec cette adolescente

Combler la mère, répondre à ses attentes même les plus folles, au risque de se perdre et au risque de la déception, voilà un des thèmes bien présent dans la relation mère-fille

un double mouvement de deuil, le deuil des objets parentaux et le deuil de l'enfant qu'elle a été.

angoisses importantes, la peur de la non séparation  étant bien supérieure à la peur de la séparation.

« Investir narcissiquement un objet, c'est s'investir soi-même à travers l'objet ou, si l'on veut, s'investir soi-même dans le miroir de l'objet. Si cela est vrai, désinvestir l'objet veut dire en fait se désinvestir soi-même ; accepter que l'objet soit perdu, c'est se perdre soi-même. Le mélancolique ressent la perte de l'objet comme une perte de soi, comme un désinvestissement narcissique de soi. ».264

Nous verrons si cette prédisposition mélancolique se révèle dans d'autres périodes particulièrement à l'approche et au moment de la mort de la mère.

À travers le suicide, l'adolescent ferait ainsi l'économie de la haine : plutôt mourir que perdre les objets aimés ou prendre le risque de les attaquer.

À ce stade-là, le sujet peut s'éprouver lui-même en présence de l'objet ; il vit dans un état « narcissique primaire ». Il ressent ainsi « un sentiment d'unité avec l'objet et peut faire l'expérience d'une relation d'identité, d'un vécu de continuité , avec son environnement »

Il est important que ce dernier résiste aux attaques destructrices et que ses réponses ne soient ni dans le retrait, ni dans la rétorsion et qu'il garde tout son potentiel créatif. Alors, comme le soulignent Roussillon et Jung, « le sujet pourra se dégager progressivement du regard ou des réponses en miroir jusqu'à présent indispensable à la régulation interne de son identité.

« Ces mères font disparaître du miroir devenu brûlant l'image du fantôme vivant hérité du passé. Il faut tuer l'enfant de leur enfance, celle qui se sentait mal aimée, mal comprise et dont l'avidité n'avait d'égale que la certitude que personne ne pouvait la combler. »

La symbiose mortifère signe l'échec de l'introjection d'un objet double à valeur transitionnelle.

la similarité dans l'identité de genre entre la mère et la fille qui contribuerait selon Catherine Terninck289 à rendre le bébé-fille plus réceptif et perméable aux messages de l'inconscient maternel. Cette mêmeté lui fait courir le risque de ne pas être reconnue dans son altérité et favoriserait la survivance du « on » de l'origine.

Heureusement, ce n'est pas le cas dans toutes les relations mères-filles. Les mères, sans voir forcément dans leurs filles une promesse de résurrection ou un prolongement d'elles-mêmes, peuvent coexister avec ces dernières sans se sentir menacées.

Parmi les mères omniprésentes, il y a celles de mères qui assouvissent leurs besoins identitaires et narcissiques à travers leurs filles. Elles se servent d'elles comme d'un faire valoir et s'en nourrissent. Elles instrumentalisent ainsi leurs filles, les réduisant à des choses.

L'omniprésence de la mère dans la psyché de la fille ne veut pas dire que la mère est une mère hyper-présente physiquement auprès de sa fille. Mélanie Klein, Colette et George Sand ont été des femmes à la fois absentes car très occupées par leur créations mais qui ont eu une influence certaine sur leurs filles.

La dépendance à la mère qui perdure est malheureusement un phénomène fréquent rencontré dans nos consultations ; la dépendance et la soumission à la mère allant parfois jusqu'à l'expropriation psychique

« Non, on ne pose pas de questions à une mère qui travaille. Je me retenais. Et c'était le plus dur... Ce que je ne devinais pas, c'est que la plupart des réponses à toutes mes questions informulées, elle était occupée à les écrire »

Dans ma clinique, j'ai remarqué que les filles se sentaient investies du devoir de faire vivre la mémoire familiale, de s'occuper des objets ou maisons ayant appartenu aux défunts.

comment exister à l'ombre d'une mère douée d'une forte personnalité ?

Il est donc bien difficile pour une fille d'avoir une existence propre et de laisser la trace de son existence quand on a une mère aussi présente.

Il est des mères absentes psychiquement comme les mères dépressives.

André Green a observé chez certains patients ce qu'il nomme « une dépression de transfert » qui serait une répétition d'une dépression infantile. Cette dernière aurait pour caractéristique d'avoir eu lieu en présence de la mère, elle-même absorbée par un deuil.

un double mouvement, « le désinvestissement de l'objet maternel et l'identification à la mère morte »316. L'identification est une identification en miroir, c'est une façon pour l'enfant de continuer à posséder l'objet en devenant cet objet-là.

Dans la deuxième, on remarque une dissociation entre le corps et la psyché, entre la sexualité et la tendresse et un blocage de l'amour

selon Green, « ….le développement intellectuel s'inscrit dans la contrainte de penser. »

« Ce fils d'une mère morte ne fait-il pas remarquer que la contrainte à penser est un symptôme du « complexe de la mère morte » et que l'intellectualisation productive, sorte de sein cognitif rapporté, en est une issue favorable. »

Si les sublimations peuvent être des tentatives de maîtrise de la situation traumatique, pour Green, il est un domaine où l'échec se ferait cruellement sentir, c'est dans la relation amoureuse. Toute tentative de remplacement de l'objet mère serait voué à l'échec car aucun objet ne pourrait être introjecté. Pour le sujet, les objets resteraient toujours à la limite du Moi car ce dernier est toujours occupé par la mère morte. Elle occupe ainsi une place centrale dans le Moi du sujet et se montre difficilement délogeable. Cette occupation, nous l'avons vu empêche les filles de mères dépressives d'investir pleinement un autre objet que leur mère et nuit à leurs relations amoureuses

Dans ce triste tableau, l'identification n'est pas à l'objet mais au vide laissé par l'objet.

Si je le traduis à la lumière de mon expérience clinique, je dirai que certaines filles dont les mères sont très dépressives deviennent les mères de leur mères et reproduisent dans le transfert une forme de nourrissage à l'égard de leur thérapeute

Dans ce cas précis, les bébés « étudient les variations du visage maternel pour tenter de prévoir l'humeur de leur mère, tout comme nous scrutons le ciel pour deviner le temps qu'il va faire. Le bébé apprend rapidement à faire une prévision qu'on pourrait traduire ainsi : Mieux vaut oublier l'humeur de la mère, être spontané. Mais dès que son humeur s'affirme, alors mes propres besoins devront s'effacer, sinon ce qu'il y a de central en moi sera atteint. ».

Cependant, il est des visages qui restent lisses, voire qui ne renvoient rien sinon un vide angoissant

L'informe inconscient était une « bouillie » mère-fille, une partielle confusion des deux corps, qui retirait à la patiente le pouvoir de donner une forme stable à un « je »

Il y a alors échec de l'expérience contenante du miroir et le corps ne peut prendre ni consistance, ni contour. Dans un cas clinique cité par cet auteur, les yeux de la mère sont perçus alors comme « des trous sans fond » qui n'ont jamais pu envisager sa fille, « c'est-à dire lui permettre de tenir son propre visage »

L'absence de la mère peut être palliée par les nourritures littéraires, les personnages, les auteurs tenant lieu de mère symbolique

Cette dévolution au pouvoir de l'autre la laisse ainsi « vide », « sans contour », « éparpillée ». Pour apaiser son angoisse, elle a recours à des crises de boulimie auxquelles succèdent des vomissements provoqués.

« La boulimie et le temps cannibalique »339 de Sylvie Le Poulichet

la question de l'identification à la mère. Freud a souligné que « l'identification est la forme la plus originaire du lien affectif avec l'objet »340 et que cette dernière « est un rejeton de la première phase orale de l'organisation libidinale dans laquelle on incorporait en mangeant, l'objet convoité et apprécié et ce faisant l'anéantissait en tant que tel. ».341

il y aurait donc une fixation à cette phase orale, une ratée de l'introjection qui ferait que l'on assiste à une incorporation de l'objet qualifiée d'anéantissante par Sylvie Le Poulichet342. Il va s'agir d'avaler sans cesse l'objet aimé ce qui équivaut à le détruire tout en devenant cet objet. Ce mouvement incarne selon ce même auteur « la figure infernale d'un pur devenir circulaire » où il est question de conserver à tout prix l'objet-mère. La boulimie chez la fille donnerait corps à cette impasse qui caractérise ce lien particulier à l'objet en reproduisant ce mouvement dans un circuit auto-érotique. Elle va jusqu'à employer le terme « d'inceste alimentaire »343, inceste qui serait commis « par amour du Même qui vous a engendré. ».

« miroir oral » qui peut s'instaurer au sein de la relation mère-fille. Elle le définit comme une « invagination de l'image du Moi engloutie par le mirage d'un Autre maternel, qui jamais ne renvoie une image associée à une parole et à un désir, mais qui absorbe les objets aimantés par sa propre image »345. La boulimie serait ainsi une stratégie pour résister à la dévoration maternelle mais elle comporte un risque, elle met en échec chez la fille le devenir femme, car en même temps qu'elle avale, elle serait ravalée par la mère.

Elle ne doit pas faire écran entre le miroir et sa fille de façon à ce que le miroir puisse réfléchir la fille et ce mouvement doit être accompagné des paroles de la mère qui auront ainsi une fonction de séparation.

« Le miroir oral met en action un regard qui élimine, et il déclenche une série d'événements dans un temps cannibalique

Nulle crise de boulimie alimentaire chez elle mais une boulimie du faire qui n'est peut-être pas sans lien avec la problématique des patientes boulimiques. Si elle ne remplit pas son estomac, elle remplit son emploi du temps. À travers nombre d'activités nourricières, se nourrit elle pour échapper à une mère dévoreuse ?

Du côté du gendre, il passe sous silence que ce dernier pourrait être attiré par une femme plus âgée que lui

« Au lieu que l'inceste du premier type soit un rapport sexuel entre consanguins, hétérosexuel ou homosexuel, l'inceste du deuxième type est indirect : ce n'est plus, par exemple, le fils qui couche avec sa mère, mais la fille qui entre en contact intime avec sa mère si d'aventure elle couche avec son père ou son beau-père ou si la mère couche avec son gendre. ».

Il s'agit d'un inceste homosexuel réalisé par l'intermédiaire d'une partenaire commune.

Il existe entre la mère et la fille une forme de perméabilité au niveau du corps qui fait que la fille ressent les souffrances de la mère.

L'impossibilité de la séparation tient en partie du fait qu'elles trouvent en chacune un bon objet consolateur à défaut d'en avoir introjecté un.

Ces renoncements sont pourtant nécessaires pour que la fille se sente autorisée à vivre et non à survivre à la mère.

les rituels qui entouraient la mort tendent à disparaître. Ils avaient pourtant l'avantage de faire tiers à travers des actes et des paroles qui ne laissaient pas les endeuillés isolés dans leur douleur.

Penser la vieillesse et la mort de la mère c'est affronter l'angoisse de réaliser que la mère n'est plus la mère de l'enfance, c'est renoncer à la croyance d'une mère toute puissante voire immortelle.

Mère mythique, déesse-mère, terre-mère nourricière, mère sauvage, mère sublimée, mère toute puissante, mère manquante, mère violente, mater dolorosa, mère virginale, mère suffisamment bonne, mère suffisamment folle, mère morte, mère idéalisée, mère atemporelle, mère immortelle, mère de la réalité, mère fantasmatique, mère interne, mère externe.

J'ai moi-même le souvenir de mon arrière grand-mère qui vivait avec mes grands-parents… Elle était disponible et accueillait avec bienveillance ma curiosité et mes demandes. Elle prenait le temps de répondre à mes questions et je me souviens qu'elle a longtemps accepté de me chanter des chansons de l'ancien temps. Je m'aperçois, en écrivant ces quelques phrases que j'ai dû puiser dans cette présence tranquille pour, à mon tour, pouvoir me tenir auprès des personnes en grande souffrance.

Tout à coup, à la vue du visage vieilli de sa mère, une rupture de la temporalité se produit : « Je vis que je voyais le temps tomber »383,

Maintenant, écrit Hélène Cixous, « Ça ce n'était donc plus maman, Elle a changé de place. » Une fille peut se sentir déstabilisée quand la mère change de place car cela la pousse à occuper une place nouvelle, place à laquelle elle ne s'était pas toujours préparée

« Je voulais maintenant arrêter maman, la retenir l'enfermer, la ligoter, l'assurer à la place que je lui assigne dans mon habitude. »

« être dans la cuisine à la place de ma mère est une brutalité de mon humaine condition : je suis déjà à la place future, nous  répétons aujourd'hui le malheur pour demain »

j'ai été souvent surprise que la mort de la mère ne soit pas quelque chose de pensable, d'envisageable voire même qu'elle fasse l'objet d'un véritable déni. Le fantasme de la déesse-mère immortelle se loge certainement dans la psyché de nombreuses filles côtoyant en même temps des fantasmes d'enfant tout puissant.

Dans ce monde de la vieillesse, la temporalité est distendue et l'environnement se rétrécie mais il semblerait que loin d'être un appauvrissement pour la personne âgée, chaque chose gagne en intensité.

L'on perçoit, à travers ces interrogations, le lien qui les relie mais aussi combien la mère, par sa présence, balise le chemin de la fille tout au long de sa vie. L'inquiétude de la fille pour son avenir quand sa mère aura disparu est palpable. Comment cheminera-t-elle sans elle ?

lui demandant de vivre jusqu'à cent dix ans. Est-ce pour mieux se préparer à l'absence future ou continuer à profiter du GPS maternel ?

La fille se retrouve maintenant en première ligne. L'ombre de la mort de la mère renvoie cette dernière à sa propre mort

La mère serait donc aussi un rempart contre la mort, capable de protéger ses enfants de cette dernière sa vie durant. Elle resterait la mère de l'enfance395 avec tous les pouvoirs que l'enfant lui accorde.

se retrouver face au regard vide de la mère est une épreuve pour la fille.

J'ai déjà abordé la question des aléas du stade du miroir entre mère et fille ainsi que celle de la structure encadrante. Il est important de préciser à nouveau l'importance de cette période où la mère reconnaît et nomme la fille et la fait exister en tant que sujet séparé d'elle. Tout comme il me semble opportun de rappeler les théories de Winnicott sur le rôle du visage de la mère envisagé par cet auteur comme précurseur du miroir. Winnicott a attiré notre attention sur les risques que représentaient les défaillances de la mère en tant que visage/miroir pour l'enfant.

L'enfant, comme l'a souligné Winnicott, est également sensible aux variations de l'humeur de sa mère et réagit et s'adapte en fonction de la météo maternelle. Dans les prévisions météorologiques, il y a une part d'aléatoire, cette part est d'autant plus grande face à une personne atteinte de démence car il est bien difficile de prévenir ou d'anticiper sa réaction.

Lors d'une visite à leur mère elles peuvent ainsi passer à côté d'elle sans la reconnaître car elle n'est pas dans son environnement familier

En paraphrasant Winnicott, on pourrait dire, une personne âgée, ça n'existe pas sans son environnement. Tout comme le nourrisson, la personne âgée a besoin d'une certaine continuité et régularité de la part de l'environnement proche, d'une forme de holding et de handling qui se traduit par un minimum de préoccupation de la part de l'entourage. L'absence de ce dernier est certainement un des facteurs à l'origine du syndrome de glissement rencontré chez certains sujets âgés. Pour se tenir dans une position subjective, il faut avoir été tenu et lorsqu'on se retrouve en position de fragilité à quelque période de sa vie, il faut pouvoir s'appuyer sur un environnement sécure.

Elle fait écho à la découverte chez cette dernière de ses propres signes de vieillesse.

le reflet est si intensément et si violemment nous-même qu'on le rejette, on refuse cette image si fidèle, saisie sur le vif, sans aucun préliminaire. Il nous faut un peu de temps pour nous habituer à nous-même. Ce qui souvent crée l'acceptation de notre reflet dans le miroir, c'est le temps qu'on aura pris au préalable pour se faire à l'idée de nous-même, de se préparer mentalement à être mis en face de notre reflet. ».398 Je me demande si d'une certaine façon ce n'est pas en voyant la mère vieillir que la fille se rend compte de son propre vieillissement. On assisterait ainsi à un effet de miroir

Peu après sa mort, mon désir de découvrir la Corée s'est timidement révélé. Je mourrais d'envie de me trouver quelque ressemblance avec les Coréens. Enfin, je pouvais voir comment j'allais vieillir !

comment se vivre à la fois semblable et différente dans un pays dont on est originaire mais dans lequel on n'a pas construit son histoire ?

Accompagner sa mère dans la vieillesse représente une occasion pour la fille de penser sa propre vieillesse et de réfléchir à ce qu'elle souhaite transmettre sous quelque forme que ce soit aux générations futures

Transmettre, c'est lâcher quelque chose de ses connaissances, accepter de les donner à quelqu'un d'autre et que ce dernier en fasse ce que bon lui semble.

La capacité à accepter la vieillesse de la mère dépendrait en partie de la capacité de la fille à accepter sa propre vieillesse.

La mère âgée nous renvoie à la fois à la mère des origines et à notre propre finitude.

« La mère était debout. Elle était un personnage debout et, sauf pour de rares instants de détente, une image verticale.

Le débordement du système de pare-excitations est souvent souligné, entraînant ainsi des situations vécues sur le mode traumatique.

parfois elle me causait de la répulsion, je ne voulais pas être touchée, me repliais en panique sur moi-même, parfois au contraire elle m'attirait invinciblement

La proximité risque de réveiller la nostalgie de la symbiose originaire, de cette période de fusion/confusion.

Aucun interdit du toucher ne vient les protéger dans cette relation de proximité corporelle

Voir le corps de la mère dégradé représente à la fois pour la fille une violence et une blessure narcissique importantes

il existe une similitude entre les professionnels qui prennent soin et les filles qui s'occupent de leur mère âgée. Le déni de la violence qui leur est faite, la culpabilité qu'ils peuvent ressentir face à l'injonction d'être des personnes bientraitantes et l'absence de lieu pour évoquer les éprouvés contre transférentiels qui les débordent.

« d'admettre que nos jugements sont liés à notre histoire, sans qu'il soit besoin de la partager. ».40

La fille peut se trouver bien démunie en présence d'une mère en difficulté si, enfant, elle n'a pu bénéficier d'un environnement suffisamment bon, capable de contenir et d'apaiser par une présence et une réponse adéquate ses angoisses

La femme, comme autrefois l'adolescente, viendrait puiser des ressources narcissiques dans le souvenir de cette mère de l'enfance à la recherche d'une force qui lui permettrait de se détacher d'elle.

Le danger serait de revenir à la mère de l'enfance, à la relation homosexuelle infantile et de ne pouvoir se tourner vers d'autres objets.

À leur statut de petite fille qu'elles ne veulent pas quitter ?

L'imminence de perdre la mère réactiverait-elle la peur de se perdre, de ne plus exister ?

Mais la douleur, et la douleur seule, restait là : il ne la verrait plus. Et ne la voyant plus, il ne serait plus vu par elle. »

l'inquiétude d'une infirmité foncière : Ne pas être capable d'aimer l'invisible ? ».

Non pas voir seulement mais voir d'abord et toujours pouvoir calmer l'angoisse que suscite l'absence en nous assurant que l'objet aimé est tout entier à portée de notre regard et qu'il nous réfléchit dans notre identité ».

l'importance de la fonction réflexive de la personne aimée, cette dernière permettant que l'on se sente exister.

À travers l'évocation des souvenirs d'enfance, une certaine nostalgie est souvent perçue mais ne peut-on la qualifier de nostalgie heureuse selon les termes d'Amélie Nothomb ?4

désinvestir l'objet veut dire en fait se désinvestir soi-même, accepter que l'objet soit perdu, c'est se perdre soi-même. Le mélancolique ressent la perte de l'objet comme une perte de soi, comme un désinvestissement narcissique de soi. ».

Annie Ernaux Il est à noter que dans son parcours d'écrivain, elle ne cessera de décrire son milieu d'origine, ses souvenirs d'enfance, sa relation à sa mère. Tentatives de ne pas perdre de vue ce monde dont elle est issue ? De pallier, grâce à l'écriture, à la disparition de la mère qui la reliait comme elle l'a soulignée à ce monde de l'enfance ?

un autre risque de déliaison lié à la peur de perdre la mère, la mère représentant, dans la psyché de la fille, un lieu.

Mais c'était en ma mère que je me sentais à la maison. »

une demande envers la mère qu'elle lui transmette des éléments de son histoire et de leur histoire commune et une acceptation de cette transmission. Nous voyons aussi dans cette démarche une volonté de se nourrir encore de la mère. L'imminence de la perte de la mère venant réactualiser la problématique du sevrage et du lien primaire

Je n'éprouvais plus de chagrin mais de l'effroi, et dans ma stupeur mêlée de crainte je devenais immature, inapte. L'attachement que je lui portais avait gardé l'empreinte de l'amour enfantin, celui des premiers souvenirs que j'avais d'elle, à l'époque où j'étais sans parole et sans pensée.

L'écriture est une tentative de retrouver la mère, en témoignent plusieurs écrivains.

d'Hanan el-Cheik431, grande figure de la littérature libanaise, qui a écrit un livre où elle raconte l'histoire de sa mère analphabète à la première personne.

'Annie Ernaux : « Il fallait que ma mère meure et que j'écrive sur elle pour être « elle » enfin »

Par l'écriture, elle lui rend hommage, elle apprend à l'aimer mais aussi elle lui redonne vie :

la fille a besoin de faire revivre la mère pour pouvoir s'en séparer et effectuer un vrai travail de deuil que l'on peut rapprocher du travail de sépulture décrit par Fédida

retrouver la mère puis s'en séparer c'est aussi pouvoir affirmer son identité.

la fragilité de nos constructions identitaires et narcissiques déjà évoquées et la fonction éclairante, enrichissante voire thérapeutique de la lecture et de l'écriture pour tout être humain.

Pleurer sa mère lui est impossible et pourtant elle confie ne pas vouloir mourir sans l'avoir pleurée.

La préoccupation maternelle tertiaire serait donc une des réponses à l'angoisse de perdre la mère.

Pour atténuer cette dette, une des voies pour les filles serait de se « déprécier »482, ce qui expliquerait en partie la disqualification que l'on rencontre chez nombre d'entre elles.

ce refoulement d'une image maternelle violente ou simplement défaillante par moments, grèvera massivement tous les présupposés théoriques sur le féminin »

Le matricide est notre nécessité vitale, condition sine qua non de notre individuation. »490. Lorsque la pulsion matricide est entravée, c'est la mise à mort du Moi sous une forme dépressive ou mélancolique

La tentation est grande de venir colmater, par un trop plein d'actes ou de paroles, l'angoisse née face au gouffre que peut représenter la vieillesse.

Si des écrivains célèbres comme Beauvoir, Colette, ou George Sand ont assumé des relations avec des hommes beaucoup plus jeunes qu'elles, qui ont nourri certains de leurs ouvrages, les relations entre les femmes mûres et les jeunes hommes restent marquées par un certain tabou et sont peu acceptées.

Elle fait le parallèle entre ce qui se passe à la ménopause et ce qui se joue juste après un accouchement ; dans les deux situations, la femme est face à un état de manque, de vide intérieur et souligne que ce passage-là est nécessaire pour que la mère puisse investir son bébé.

Madeleine Gueydan considère cette période comme une nouvelle chance pour penser et continuer le devenir féminin, précisant que « la féminité n'est jamais érigée mais que les femmes ne cessent de l'édifier. Elle avance le fait que la femme redevient exclusivement une femme, ses enfants étant devenus des adultes et ses parents disparus.

Il ne suffit pas d'avoir un lieu ou d'en créer un, encore faut-il pouvoir l'habiter. On doit à Heidegger524 un développement particulièrement intéressant sur la différence entre la construction et l'habitation

Au lieu de constater une nouvelle occasion de renouer avec le féminin à travers la création, de nombreuses femmes vont s'engouffrer dans le maternel. Ce que j'ai nommé la préoccupation maternelle tertiaire

Cela pose la question de ce que la mère a transmis à sa fille pour tout ce qui concerne le Féminin. Selon Dominique Guyomard, « L'érotisation du lien en garantit la transmission. Il faut, en effet, que ce plaisir du lien ait lieu pour le constituer comme lien narcissisant et son sevrage doit être le gage d'une transmission possible car son absence produit une jouissance l’abolissant. »

ce « féminin doit être aimé par sa mère pour devenir féminité. »

Être en proie à la jouissance de l'autre entraîne un anéantissement subjectif.

Si ce double mouvement n'a pas lieu, on observe chez la fille, à la mort de la mère, l'émergence de deux fantasmes possibles :- un fantasme d'incorporation, l'objet maternel est alors incorporé et il va falloir le nourrir ; - un fantasme de ré-engendrement, la fille se retrouvant enceinte de sa propre mère.

De cette période, Béla Grunberger pense que le nourrisson en garde certaines traces : toutes ces caractéristiques sont en même temps des attributs de la divinité et l'on pourra dire que si Dieu a formé l'homme à son image, l'homme a créé Dieu à son image prénatale. »

J'écris. Je mens. Tous les stratagèmes sont permis pour la faire renaître. »

Ce qui m'interroge particulièrement c'est ce désir de la faire renaître

Ne pas penser la mortalité de la mère est aussi une façon de ne pas penser, voire d'être dans une attitude de déni vis-à-vis de sa propre mort.

Baudelaire en témoigne dans une lettre adressée à sa mère :« Nous sommes évidemment destinés à nous aimer, à vivre l'un pour l'autre, à finir notre vie le plus honnêtement et le plus doucement qu'il sera possible. Et cependant, dans les circonstances terribles où je suis placé, je suis convaincu que l'un de nous tuera l'autre, et que finalement nous nous tuerons réciproquement. Après ma mort, tu ne vivras plus, c'est clair. Je suis le seul objet qui te fasse vivre. Après ta mort, surtout si tu mourais par une secousse causée par moi, je me tuerais, cela est indubitable. »532

nous pouvons envisager cette situation sous un angle positif, la mère faisant barrage au désir de mort du sujet.

Catherine Terninck pour illustrer ce moment de crise : « épreuve de féminisation, épreuve critique, résolutive, éminemment initiatique au cours de laquelle une jeune fille cherchera, après l'avoir dénoncée, à renouveler l'alliance qui originellement l'a unie à sa mère afin de conquérir sa position de sujet féminin. »539

On constate combien parler du risque incestueux et homosexuel dans la relation mère-fille reste encore tabou tout comme il existe un tabou concernant la violence chez les femmes.

Tous les efforts que j'avais fait pour me protéger d'elle de son vivant ne servaient plus à rien, j'étais à sa merci...

Cette double figure interne qui peut être successivement ou simultanément bonne ou mauvaise dès les premières années de la vie de l'enfant et représenter la mère …   son introjection déclencherait des angoisses paranoïdes chez la fille du même ordre que celles éprouvées quand elle était enfant.

Mélanie Klein soutient que « le corollaire essentiel de l'angoisse, de la culpabilité et des sentiments dépressifs est le besoin de faire réparation »

Freud« … le deuil se doit de remplir une mission psychique définie, qui consiste à établir une séparation entre les morts d'un côté, les souvenirs et les espérances des survivants de l'autre. »

Il s'agit d'avaler sans cesse l'objet mère. Ensuite l'idée « d'inceste alimentaire »568 qui est réalisé « par amour du même qui vous a engendré. »569. Cette question de la circularité nous rappelle combien les mouvements circulaires procèdent de la résistance à la perte et au deuil.

Albert Cohen : « Pleurer sa mère, c'est pleurer son enfance. L'homme veut son enfance, veut la ravoir, et s'il aime davantage sa mère à mesure qu'il avance en âge, c'est parce que sa mère, c'est son enfance. »571.

Cette mère de l'enfance qui représente à la fois une personne et un lieu comme je l'ai déjà évoqué

« Mère témoigne d'une symbolisation de l'absence quand, dans sa fonction phatique, maman maintiendrait plus directement le contact. »

Aulagnier montre ainsi que tout lien comporte un risque persécutif et que tout représentant est susceptible de favoriser la résurgence de ce dernier.

Les problématiques de séparation dans le couple, les angoisses d'abandon surgissant à ce moment-là m'ont aussi éclairé sur les premières séparations mère-fille.

Aulagnier  « C'est donc en passant par une relation passionnelle que le petit de l'homme rencontre l'amour. C'est pourquoi on retrouve toujours en soi la nostalgie de l'excès de plaisir éprouvé dans sa rencontre avec le premier objet de sa passion et l'angoisse qui l'envahit à l'idée qu'en revivant une même relation, il pourrait retrouver l'excès de souffrance qu'elle lui a imposé lors de son dépassement. »

La relation avec l'homme vient combler, colmater une psyché lacunaire. Le partenaire est ainsi utilisé comme objet de comblement.

La question de la fusion qu'entretiennent les femmes avec leur compagnon n'est pas sans rappeler la fusion originaire, elle comporte les mêmes risques dont l'aliénation et de l'enfermement. Ces derniers empêchent la femme d'exister en dehors de son compagnon, il compromet ses capacités créatrices.

après le décès de leur mère ou de leur compagnon … la femme se révèle alors elle-même, alors qu'auparavant elle avait pu se construire une forme de faux self pour se conformer aux attentes maternelle ou du conjoint.

Le seul aménagement qu'elle a pu effectuer a été de renoncer à partager le même toit avec la personne aimée pour se préserver un espace et ne pas se sentir envahie par cette dernière.

Au regard de la souffrance observée dans les ruptures amoureuses la question de la « trace possible dans le parcours oedipien féminin d'un accent mélancolique »585 me semble confirmée.

Comme si, à la fin de la vie, cette différence n'était plus opérante. La rencontre entre une mère mourante et son enfant, homme ou femme renvoie à leur première rencontre qui s'est faite dans le registre du besoin contrairement à celle avec le père. Cependant, la rencontre mère-fille, comme je l'ai déjà souligné, comporte pour les deux protagonistes de nombreux risques qui s'articulent autour de la question du même.

Cette disponibilité du thérapeute  nous rappelle celle de la mère envers l'enfant dans les tout premiers moments de sa vie.

Cette disponibilité nous renvoie également à la question de la dépendance et plus précisément à la question du renversement de la dépendance.

Michel de M'Uzan …  se demande comment on peut aider un patient à mourir en lui évitant tout vécu de perte objectale

« Ce qu'elle me demande, lorsqu'elle observe ma coiffure, c'est de porter la féminité à sa place (...) Et maintenant qu'elle est vieille, elle me le demande encore plus, elle n'a plus que moi pour être femme, il faut que je sois son visage, pour qu'elle gagne ses batailles à elle, ses toutes petites batailles de petite vieille

force est de constater que la libido est toujours présente, même à la fin de la vie, le désir de plaire également mais pour réaliser ce dernier une des voies est de demander à la fille de le faire à sa place, par procuration.

ce qui signifie profondément qu'elle accepte qu'une partie d'elle-même soit incluse dans l'orbite funèbre du mourant. »596. Cette acceptation n'étant pas toujours facile car il existe « une crainte ancestrale d'être entraîné, dévoré par le moribond. »597.

Une patiente m'a confié récemment que l'accompagnement de sa mère mourante lui avait donné l'occasion de toucher le visage de sa mère, geste tout à fait inhabituel et empreint de tendresse.

« L'objet clé » selon De M'Uzan, devrait pourvoir et assurer une présence qualitativement sans défaillance et assurer un certain flou de son être, vivre presque en état d'absence .»598. Cela nous rappelle la préoccupation maternelle primaire décrite par Winnicott

On peut faire l'hypothèse que ceux et celles qui n'ont pas bénéficié au début de leur vie d'un holding suffisant auront des difficultés à s'abandonner, à confier à un tiers ce qu'ils vivent et ressentent

Mère et fille se trouvent confrontées pour l'une à un travail de trépas et pour l'autre à un travail de deuil. Cependant, il y a une différence comme le souligne Michel de M'Uzan, le mourant dispose de moins de temps même si le travail de trépas commence bien avant l'agonie

« L'homme est l'enfant de son enfance, et tout ce qu'il vit n'est que la vaine tentative de devenir adulte, de se dégager de la mère, combat qui se solde par ce résultat que l'enfant survit en lui à tous les âges, et transparaît à nouveau clairement à mesure que l'homme vieillit.

le passage de l'investissement anaclitique de l'objet à l'investissement sublimatif de l'objet est une étape qu….nécessite d'avoir entamé en amont ce qu'Henri Bianchi nomme « le travail du vieillir », si ce n'est pas le cas elle se retrouvera de façon plus ou moins brutale et passionnelle à effectuer « le travail du trépas ».

le consentement pour chacune de la perte de l'autre. Bien sûr ce n'est pas toujours le cas et ce travail se fait alors pour certaines avec un thérapeute après le décès de leur mère. …il s'apparente au travail de sépulture décrit par Fédida où il faut faire mourir la mère une seconde fois pour pouvoir s'en séparer.

dans combien de situations un travail clinique au chevet du mourant en présence d'un proche est-il réalisé ?

On perçoit combien la frontière est tenue et les risques présents entre une mère qui se doit de proposer une structure encadrante à la fille et la menace que cette dernière ne constitue un cadre rigide dont elle aura du mal à s'affranchir.

La fin de la vie de la mère met à l'épreuve la fille de traiter une nouvelle fois la question de la séparation et du désinvestissement d'objet. …Notre clinique nous montre que ce processus est régulièrement à remettre sur le métier et que la prédisposition mélancolique serait plus importante chez les filles du fait de la mêmeté avec l'objet mère.

Dans ce travail de recherche et d'écriture, j'ai introduit à plusieurs reprises des références littéraires et artistiques pour m'aider à penser ma clinique … C'est aussi grâce à ce même procédé que je peux continuer à me maintenir bien vivante auprès des patients que je reçois. « Les livres prennent soin de nous »

même la mort peut ne pas les séparer et que le risque de plonger dans la mélancolie est grand avec tous les risques persécutifs que cela est susceptible d'entraîner.

Au fil du temps, j'ai accepté de me laisser rencontrer et traverser par mon objet de recherche avec tous les risques inhérents à cette entreprise Il m'a d'ailleurs rattrapé car mes parents sont maintenant des personnes âgées et dépendantes et je touche au plus près la question du renversement et de la préoccupation maternelle tertiaire auprès d'eux.

En me détachant d’elle, j’ai trouvé que je devais dire ce que j’aimais dans cette thèse indépendamment de toute obligation de préoccupation

ELLE PUISE À DES SOURCES DIFFÉRENTES (CHANSON, PÉNALISATION,LES MÉDIAS, LES HISTORIENS , SA CLINIQUE , UN GRAND NOMBRE D’AUTEURS,

ELLE DÉNONCE QUELQUE CHOSE DE SCANDALEUX (CF. BEAUVOIR)

Piera Aulagnier, Freud, Dolto, Laplanche, Ferenczi, Racamier, François Perrier, Hélène Deutsch, Mélanie Klein, Winnicott, François Richard, Catherine Terninck, Bergeret, Micheline Enriquez, Jacqueline Schaeffer, Jacques André, Françoise Couchard, Roussillon, Jung, André Green, Sylvie Le Poulichet, Fédida, Madeleine Gueydan, Dominique Guyomard, Béla Grunberger, Michel de M'Uzan, Henri Bianchi

Annie Ernaux, Hélène Cixous, Beauvoir, Colette, George Sand, Balzac, Proust, Amélie Nothomb, Hanan el-Cheik, Heidegger, Baudelaire, Albert Cohen 

Problématique de la séparation est une problématique pour l’élaboration du trauma dans une perspective politique.

Se séparer de la mère  pour pouvoir la rencontrer= conception de l’élaboration du trauma : adopter la culture et la langue de l’autre pour parler le trauma d’où l’on vient.

Réflexion sur l’écriture Linceul/ séparation

Son aller retour à sa clinique nous permet de l’y accompagner  Le  je du chercheur

Elle approche courageusement des zones les plus fragiles de nos vies

La krypte entre elle et moi

Mon transfert à une MÈRE qui savait tout  de moi. Étouffement, angoisse , pas de séparation

Issue par le plaisir au scandale : le corps de la mère âgée, la vieillesse  (Ernaux, Beauvoir)

J’écris aussi comme Ernaux pour ça : Il est à noter que dans son parcours d'écrivain, elle ne cessera de décrire son milieu d'origine, ses souvenirs d'enfance, sa relation à sa mère. Tentatives de ne pas perdre de vue ce monde dont elle est issue ? De pallier, grâce à l'écriture, à la disparition de la mère qui la reliait comme elle l'a soulignée à ce monde de l'enfance ?

Dette : oui Isabelle née en 6 mai 1962 (moi 28 ans) Louise Kavafian décédée à 84 ans (née en 1878 - 5 juillet 1962).

La séparation par l’école

Déplacer la mère sur l’institutrice

Ècrire serait aussi pour moi ne pas perdre le monde de me mère, grandmère.

La fragilité de la mère vieillissante, sa dépendance réelle ou fantasmée contribuent au retour des origines, de l'archaïque et favorisent l'émergence de nombreuses angoisses.

Simone de Beauvoir 404 a décrit le choc qu'elle a ressenti quand elle a vu le sexe de sa mère âgée sur le point de mourir. Elle se souvient alors du corps de sa mère aux différentes étapes de sa vie et des réactions provoquées chez elle, sa fille.

«Enfant je l'avais chéri; adolescente, il m'avait inspiré une répulsion inquiète; c'est classique ; et je trouvai normal qu'il eût conservé ce double caractère répugnant et sacré : un tabou. Tout de même, je m'étonnai de la violence de mon déplaisir. ».405

Françoise Chandernagor dans son roman, dépeint elle aussi, en termes crus, la rencontre d'une fille avec le corps de sa mère âgée et les sentiments qui la traversent.

« J'ai porté les yeux sur la nudité de ma mère. Porté les yeux sur ce ventre flasque qu'il faut savonner. Porté les yeux sur le sexe chauve, les seins tombants, si étroitement plaqués contre le thorax que la sueur entretient sous le mamelon une humidité constante. La peau, irritée, commençait à peler, la chair était à vif : il fallait talquer. Je soulevais chaque sein, je poudrais... J'avais pitié. J'avais honte. ».406

La honte peut provenir du fait qu'elle peut à ce moment-là s'identifier à la mère et se sentir elle aussi mise à nu. Ce sentiment a très bien été décrit par Annie Ernaux relatant les gestes d'un médecin envers sa mère lors d'une consultation :

« L'interne a relevé sa chemise jusqu'au ventre. Ses cuisses, son sexe blanc, quelques vergetures. D'un seul coup, ce fut comme si c'était moi, exhibée ainsi. ».407


[i] Jean Laplanche, « Terminologie raisonnée » dans Traduire Freud, PUF, 1989, p.96

 

 

 

Débat: 
Aléas et devenirs du lien mère-fille à l'épreuve de la vieillesse et de la mort de la mère
Date: 
17/02/2017
Lieu: 
Lyon - Université Lyon 2
Langue: 
français