Cérémonie d’achèvement de la traduction des Œuvres complètes de Freud du 4 novembre 2015
A l'occasion de la parution du dernier volume des Oeuvres complètes de Sigmund Freud sous la direction de Jean Laplanche, Les Presses Universitaires de France et la Fondation Jean Laplanche célèbrent le 4 novembre 2015 l'achèvement d'une entreprise éditoriale de prestige à la Fondation Simone et Cino del Duca, à l'Institut de France, en présence de Christophe Dejours, Monique Labrune, Pierre Cotet, Janine Altounian, Alain Rauzy et François Robert.
Les discours prononcés par chacun d'entre eux sont disponibles ci-dessous : ils sont également téléchargeables sur le site des PUF. Dans son discours, Janine Altounian témoigne de son pacours au sein de l'équipe de traduction durant ces trente années et du plaisir à ce travail partagé avec ses collègues.
L'ensemble de la cérémonie du 4 novembre 2015 est disponible au format audio ci-dessous.
Retrouver également l'Interview qui a été donnée à l'occasion d'une rencontre avec l'ensemble de l'équipe éditoriale de traduction : Jean Laplanche, Pierre Cotet, François Robert, Janine Altounian et Alain Rauzy.
Téléchargez le discours de François Robert
Téléchargez le discours de Janine Altounian
Téléchargez le discours de Pierre Cotet
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"Notre aventure a généré une amitié, dont je crois Janine Altounian va vous entretenir, amitié intellectuelle au départ » vient de dire Pierre Cotet après avoir évoqué le navire qui, « malgré les gémissements de l’équipage », selon Jean Laplanche, n’avait jamais pris l’eau.
Je prendrai, pour ma part, une autre métaphore pour désigner la place que cette aventure avait prise dans ma vie, car je n’ai véritablement compris qu’il s’agissait bien d’une place dans ma vie que lorsque se termina en janvier 2013 ma propre contribution, aussi bien au travail de traduction qu’à celui de révision des textes de ce dernier volume. Je me rendis compte en effet que, n’ayant plus à me présenter aux séances de travail, je perdais une sorte de famille d’adoption qui, depuis l’accueil que m’y avait fait Pierre Cotet en 1970, avait prolongé pour moi celle que j’avais trouvée autrefois dans l’École.
Dans cette famille contraignante que j’ai donc rencontrée, en dehors des vacances scolaires, trois fois par semaine pendant trente ans, se vivait en réalité un plaisir très rare de travail en commun que j’aimerais ici caractériser: Chacun de nous partageait avec ses collègues, devenus de ce fait même des amis, un travail de pensée autour d’un texte fondateur qui, malgré son propre mode d’investissement particulier de la langue allemande et du style de Freud, finissait pourtant par produire une élaboration commune consensuelle. C’était ce partage lui-même qui intensifiait le plaisir à suivre et comprendre la pensée du texte. Il me fut souvent donné, par exemple, de vivre ces moments miraculeux où, étant plus sensible à la langue source qu’à la langue cible, je trouvais chez un ami traducteur un tel écho à ma réserve quant à la traduction adoptée, que celui-ci, s’identifiant alors à mon insatisfaction, offrait le mot pertinent qui me manquait pour mieux satisfaire alors les exigences du sens. Le bonheur ressenti dans ces moments n’était pas tant celui de détenir enfin la solution recherchée mais celui de pouvoir partager avec autrui le même mouvement psychique de pensée. L’aventure de cette trouvaille à plusieurs ne faisait que témoigner de notre commune appartenance à la vie de l’esprit, la Geistesleben, en affirmant et présentifiant l’existence de celle-ci, en sublimant ainsi en plaisir la capacité à percevoir et nommer ce qui se dérobait à soi ou à l’autre.
Comme dans toute famille, il y avait, bien sûr, des moments difficiles, conflictuels et j’ai souvent pensé que la fonction d’harmonisatrice qui m’avait été attribuée ne s’exerçait pas seulement sur les traductions. Pourtant, comme dans toute entreprise familiale digne de ce nom, il allait de soi qu’il fallait poursuivre le travail coûte que coûte et l’achever, malgré les trois pertes douloureuses que vient d’évoquer Pierre Cotet. La perte de ces êtres chers à divers titres, aurait pu nous arrêter car chacun d’eux avait joué un rôle essentiel dans la marche de l’entreprise. Ma solidarité de femme aimerait ajouter ici une quatrième perte, celle de Nadine Laplanche dont l’accueil, au début de chaque séance de relecture, nous offrait l’intimité de son café et de son exubérance parfois intempestive, insoucieuse de troubler l’attention de son cher « Jean » plongé, lui, dans le déchiffrement du destin des pulsions !
Pour finir, je brosserai un petit tableau de ces séances des mardi et mercredi dans l’élégant bureau de l’appartement, rue de Varenne : ayant pris place sur son fauteuil, face au bureau où André Bourguignon, puis Pierre Cotet, lisaient et, après concertation dans le groupe, avalisaient ou corrigeaient le manuscrit étudié, Jean Laplanche se livrait à corps perdu au plaisir du texte et à celui de le partager avec nous. Le plaisir de se confronter à la parole d’un texte primordial était chez lui tellement investi qu’il s’y adonnait de concert avec les autres, notamment, avec nous. Lorsque survenait un éventuel désaccord entre son point de vue et celui de l’un d’entre nous, il attendait de pied ferme l’argumentation de son contradicteur car l’objection, pertinente ou pas, lui donnait, par émulation, l’occasion de mieux exposer toutes les incidences spéculatives de l’élaboration freudienne. En scrutateur du verbe freudien, passionnément attentif, il progressait sous nos yeux et avec nous, d’un pas lent, ligne à ligne sur les pistes du texte pour en explorer les implications avec pugnacité. Le vigneron en lui soupesait avec un soin artisanal et un bonheur évident la pertinence de tel choix lexical ou de telle innovation conceptuelle. Son exigence tatillonne, voire tracassière, inspirait à chacun de nous le sentiment que toute pensée et surtout celle vouée au père fondateur de la psychanalyse était un bien constitutif hautement précieux pour la vie. Le transfert « paternel » qu’il pouvait faire naître en moi, comme chez ses élèves, était en fait un transfert à Freud dont il devenait le médiateur dans une triangulation particulière. Son travail au texte instaurateur de l’inconscient dispensait, comme toute herméneutique, une leçon de vie en tant que celle-ci n’a de sens que si elle vise une transcendance, la Geistigkeit freudienne."
Fondation Simone et Cino del Duca
10, rue Alfred de Vigny - Paris 8e - M° Courcelles